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Le blog de Persone

De la responsabilité - Petite méditation sur les droits et les devoirs, et sur leurs interprétations collectives.

2 Octobre 2015, 02:02am

Publié par Persone

Les marées emmènent et ramènent, laissez-vous aller. L’océan avale et il recrache, affrontez vos peurs et bravez le Léviathan de notre Père ! Le chant de la mère s’élève, laissez-vous bercer ! Peu importe le temps ou l’espace.

Vous êtes sur un bateau, un jeune matelot capture un albatros et, comme le décrit Baudelaire, il singe sa maladresse sur le pont parmi les hommes. Il le taquine, fait rire ses camarades. L’oiseau a peur, la tension monte. Il s’échappe, on le rattrape, sa frayeur et sa fragilité s’opposent aux rires et à la rudesse de ces cœurs de matelots. L’animal est blessé. Le  capitaine arrive et sonne la fin des opérations. Il condamne le matelot concerné à achever la bête. Sans le fusil, comme l’aurait attendu le jeune homme, mais de ses propres mains, en toute intimité avec l’animal.

Prenons cette petite histoire comme une fable philosophique, l’albatros peut avoir milles et un visages, et le matelot aussi ! L’évènement, la réaction puérile, le courant collectif, le contact, l’opposition des charges, l’issue tragique (négative, en terme de charge émotive) et au final l’intervention de la conscience pour rétablir un équilibre, ah ce brave capitaine !

 

Entracte !

Toc, toc, toc…

 

Vous êtes maintenant devant un bac à sable où de charmants mouflets s’épanouissent comme larrons en foire dans un paradis bactériologique, quoi que dépourvu de crottes de chien.  Un gendarme passe, un mouflet le capture. Les uns hurlent épouvantés cavalant vers la jupe de maman, les autres éclatent de rire et s’approchent. Le sort de l’insecte est scellé ! Vous voyez probablement où je veux en venir ! Et pourtant non ! Allez vous-mêmes et honnêtement au bout de cette nouvelle fable ! Vous en conviendrez, ici, on manque d’un capitaine. Le meilleur intendant que nous puissions avoir dans ce scénario est un parent présent, observateur, à tendance écolo et sans portable ( !), ou un moufflet prodigue !Bref un improbable personnage, capable d’interrompre l’opération en sauvant ou en achevant le pauvre gendarme. Loin de cela dans les innombrables cas quotidiens où l’insecte blessé est laissé à son sort et les enfants sermonnés pour avoir fait quelque chose de dégoutant (malheureusement pas au sens moral du terme) et avoir fait du mal à une petite bête (mais encore ?).

Mais encore ? Ce qui est dégoutant, ce n’est pas l’expérience de toucher l’intérieur visqueux d’un insecte, d’une vie ! Tout comme ce n’est pas dégoutant de voir le matelot obligé de tuer un gros oiseau entre ses deux mains, pour libérer sa conscience de la négation du crime et le volatile de sa souffrance. Ce qui est dégoutant, c’est ce qui va suivre :

Tandis que l’on lave les mains de l’enfant « tic tac tic tac », et que l’on passe du miam-miam au dodo « tic tac tic tac », vers les sentiers de l’oubli « DRRRRINGGGG !!! ». Pardon, je m’égarais ! Bref, tandis que l’on lave les mains de l’enfant en humant la soussoupe, un gendarme est la proie de tous les oiseaux de nuit, s’il ne sort pas de ce désert de sable au plus vite, c’est la fin. Approchez-vous encore un peu (zoomez dans votre esprit) et vous verrez : la fin du gendarme est souhaitable, un oiseau serait libérateur ! Il court sans avancer, comme dans vos pires cauchemars, il a peur, il s’épuise. Plus il tente d’accélérer, plus il souffre. Comprenez comme il vous serait difficile de courir sur une plage de galets, avec le ventre éclaté et les tripes à l’air, ramassant cailloux et brindilles au passage. Mais la nature vous a fait solide ! Vous pouvez tenir des heures et des heures et vivre bien d’autres calvaires, au-delà du bac à sable ! Et à l’heure de votre mort, votre bourreau dormira sur ses deux oreilles, comme si rien ne s’était jamais passé.

Ici pas de Capitaine, pas de rééquilibrage… et j’en ai peur, plus d’éducation (dans la valeur absolue du terme). « Bah, il ne s’agit là que d’un gendarme ! » Me direz-vous  « Ce n’est pas la fin du monde ! » Et bien voilà, c’est bien ce que je dis, plus d’éducation, dans la valeur absolue du terme ! Beaucoup de premiers degrés (cohabitant sans complexe avec la vile sophistication du néo cynisme), beaucoup de confusionnisme, beaucoup de dissolution des corps et des esprits, énormément de conditionnement, mais de l’éducation responsable ? … Bientôt on ne pourra même plus en parler ! Le terme est déjà vague n’est-ce pas ? Le redéfinir vous semble comme un exercice de mathématiques torturant un esprit inapte à la concentration ? Ne vous inquiétez pas, tout cela sera bientôt oublié ! Vous travaillez dur, avec un acharnement méritocratique même ( !), vous méritez donc d’être tranquilles, pépères. Nos enfants assumeront !

 

 

Entracte !

Toc, toc, toc…

 

 

Vous êtes maintenant un des nombreux protagonistes d’une embarcation immense, que dis-je, une société, un empire !

Mais cette fois, avant de vous projeter, affligez-vous donc d’une personnalité plus précise : Vous êtes africaine d’origine, échouée encore enfant sur une des plus riches côtes de l’empire (c’est peut-être votre cas, aucun souci, cela n’influera pas sur l’exercice !). Bref, vous êtes une jeune femme africaine et, tant bien que mal, vous avez grandi et tissé votre petite toile multicolore dans ce grand réseau moderne.  Ici, on ne vous demande pas d’assister à la mise à mort d’un insecte ou d’un albatros, mais un ami, ou une simple connaissance, vous incite à regarder le cauchemar de Darwin, un implacable documentaire qui dissèque l’horreur des coulisses du néocolonialisme. Vous voyez encore où je veux en venir ! Et bien non, pas encore ! La jeune fille que vous êtes ne sera pas forcément émue, convaincue, triste, choquée, ou encore guidée vers la rébellion ou pire, le pathos et la désocialisation. Et si la jeune fille regardait mollement le docu, en s’affairant à autre chose, pour dire le lendemain à son ami « c’est bien, mais j’l’ai pas maté jusqu’au bout, c’est un peu chaud ! C’est vrai tout ça, mais si on mate de trop prêt on est mort ! » ??? Aujourd’hui, il suffit d’être un peu réaliste pour savoir que ce scénario est bien plus majoritaire que celui que vous auriez idéalisé de prime abord.

Mais comment en est-on arrivé là ? C’est ici qu’il faut relire ces trois petites fables, en imbriquant leurs nombreuses significations les unes dans les autres.

 

Fin de l’exercice.

 

« Bien », me direz-vous, « la responsabilité, l’horloge biologique, le capitaine et sa conscience qu’on a débarqué du navire ! Mais encore ? »  

Laissons donc les fables immortelles de côté et parlons actualité, tout en revenant à notre titre « De la responsabilité ». Celle de la république par exemple, dans le sens démocratique du terme ! Cette république qui a de nouveau failli, cachée derrière ses mensonges : Les petites et grandes cachoteries de l’OMC sur le GMT et les plans de mondialisation, les vertus humaines du libéralisme la dette sacrée, le profit salvateur, la socialisation nécessaire du sauvetage bancaire (…) Ou encore une image tronquée de la croissance, tronquée parce que ce n’est ni la croissance, ni la stagnation, ni la décroissance qui menace l’humanité, mais la démesure de sa régulation par l’Occident, suivie de l’indécente dérégulation orchestrée par le nouvel ordre mondial.

Ah, les responsabilités ! Ah, la justice ! Et l’aspect sacré des droits et les devoirs républicains ! Mais poussons la situation à son comble : Dans un monde où la démocratie serait la douce dictature des opportunistes, les états pourraient brader leur système éducatif pour satisfaire le Grand Marché, la république ou le royaume pourrait offrir sa balance universelle des droits et des devoirs aux plus offrants, et nous, produisant à la chaine des générations totalement irresponsables et amnésiques, de braves bollos performants et disciplinés, sinon soumis à compensations. Un comble ou une réalité d’après vous ? Et la jeune femme africaine, pourquoi ne peut elle plus s'encombrer du cauchemar de Darwin?  

Ne l’oublions pas, sans revenir à mes fables, nous sommes embarqués dans un empire ! Virtuel certes, fantomatique et flottant pourrait-on dire, mais le fait est que nous avons majoritairement travaillé et payé pour le voyage, sans parler de ceux qui ont voté, en toute bonne conscience !

Un empire dont la technologie pourrait nous extirper du consumérisme auquel  nous avons souscrit (possédés par ce que l’on croyait posséder), alors que nos propriétaires, les créateurs de richesses comme ils se nomment, entretiennent leur cruel paradigme pour sucer la mamelle jusqu’à la dernière goutte. Energie fossile, éducation fossile, générations stériles, jusqu’au bout de la route !

Un empire dont les vainqueurs ont privatisé leurs gains et socialisé leur dette, perpétuant votre esclavagisme avec votre accord indirect, comme de vrais illusionnistes.

Un empire où l’on mutile et massacre des insectes, des albatros, des poules, des vaches et des cochons de façon industrielle.

Un empire où l’on affame les plus démunis, en faisant bosser pour nous les plus chanceux pour des miettes de pain, au nom de la libre concurrence.

Un empire où l’on s’habille avec les cotonnades hyper-tendance, fabriquées par des enfants miséreux, des enfants qui meurent par centaines, parfois par milliers, dans les fréquentes explosions de ces usines les moins sécurisées au monde.

Un empire où des paysans indiens se suicident en buvant notre fameux Round-up, parce que les stocks qu’on leur a vendu (interdits chez nous) ont modifié les gênes de leurs enfants, des monstres à nos yeux, malades, souffrants et condamnés à une lente agonie.

Un empire (…) Et des pages, et des pages !

Mais ! Un empire dans lequel tous ces crimes ne sont pas commis par vous directement !

Un empire où le « Faut bien travailler » justifie tout, absolument tout, jusque l’anéantissement de la conscience !

Une grande cité des arts, des sciences et des industries, qui fabrique à la chaîne, toutes les formes de catharsis possibles et imaginables !

Un petit « chez soi » qui semble plus grand grâce avec un banalisator à nettoyeur flashouilleur intégré (enfin une télé quoi !) et un réseau câblé !

C’est ici que s’achève réellement ce petit exercice, mais reproduisez-le à volonté en cherchant, par exemple, la raison des grands maux, dans les petits maux ou encore dans les relatives hypocrisies que vous fréquentez au quotidien ! Et si quelqu’un vous dit « m’enfin torturer un insecte inconsciemment, se moquer conventionnellement des pathophiles avec les pathophobes, ou encore tromper sa femme de temps en temps, baiser pour l’hygiène ou déléguer l’éducation de ses enfants (…), ce n’est quand même pas la fin du monde !» Répondez-lui que l’ironie du sort fait qu’il a probablement raison, mais que tout est relatif ! Si vous sentez que l’instant est créatif ou destructeur, bref s’il n’est pas stérile et déjà perdu…

Racontez donc une fable !

Une fable n’est pas faite pour convaincre, mais pour permettre aux usagers de recouvrer la maîtrise de leur esprit.

Merci pour votre concentration !

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