Il était une fois, quelque part…
C’est l’histoire banale de trois mecs qui courent, un naïf, un cynique et un minoritaire.
Le naïf et le cynique trottaient en évoquant les problèmes de l’époque, comme on parle d’une fuite sous l’évier avec un voisin d’ascenseur. Le premier, grise mine, pensait que la route du progrès et les complexités de la politique justifiaient sans peine les erreurs du système, et le second, fière mine, lui répondait tout sourire, qu’on aurait toujours besoin de ceux qui espèrent, mais que les naïfs seraient moins pauvres s’ils savaient profiter de ce qu’ils prennent encore pour des erreurs.
Le minoritaire, troublé par les bavardages de ses deux acolytes qui avaient cure de courir et de philosopher dans la même foulée, tenta d’ouvrir le bec :
« c’est bien les gars d’être à l’aise dans vos pompes, on dirait les frères ennemis en plus banal, mais quand même, vous ne croyez pas que l’avenir qu’on réserve à nos enfants en attendant le paradis artificiel ou en creusant son trou sans »…
Le naïf l’interrompt tout net, et lui rétorque, d’un souffle maladif :
« Woyoyoye ! Pas encore s’il te plaît ! Le problème avec les gens comme toi, c’est que s’ils s’étaient majoritaires, on n’avancerait plus ! Et puis laisse moi te raconter une histoire, l’autre jour, avant le marathon, j’étais là à m’apitoyer sur mon sort en me demandant si j’avais bien fait de participer à cette course pour les enfants malades ! Et puis voilà que je me retrouve à épauler une hémiplégique pour lui permettre de finir le parcours ! A l’arrivée, l’ami, je peux te dire que j’étais déjà épaté par le courage de cette jeune fille, quand elle m’a appris qu’elle avait décidé de subir une opération dangereuse au cerveau pour améliorer son état et que cette intervention avait finalement foiré, en lui collant un pète au casque en plus de sa semi paralysie !!! Et bien cette fille elle cavale quand même mec, avec le peu qui lui reste et la rage au ventre !!! Ouais mec ! Alors plutôt que de broyer du noir et de démoraliser tout le monde, tu devrais regarder un peu la réalité ! »
Le minoritaire, surpris par le décalage entre sa question et la réponse avortée de son compagnon, tente de rétablir un point commun dans les propos :
« Je ne disais pas qu’il n’y avait pas de courage chez les malades, les handicapés, ou les gens en bonne santé, je disais plus globalement que »…
Là, le cynique l’interrompt tout net, et siffle d’un souffle régulier comme un métronome :
« Hey, hey, hey, faut quand même dire que t’es pas banal comme mec! C’est bien d’être un rêveur, mais tu devrais arrêter de fumer les herbes de ton jardin ! Non, t’es pas con comme mec, et puis des cons, y’en a aussi chez les handicapés même courageux !!! Mais bon, tous ça c’est dans la nature humaine, tu peux pas arrêter le train en marche ! Et puis quand les cons s’ront tombés trop bas, ou qu’le sang pissera, ceux qui les dirigent vendrons les stocks à prix de crise pour épargner la trésorerie, et puis ils laisseront l’air du temps leur souffler la direction de leur nouvel investissement : les tendances, les produits, les nouvelles technologies et toutes ces jolies p’tites saloperies qui seront le nouveau moteur de leur économie pour environ 50 ans !!! Et ainsi de suite bordel !
En tout cas j’suis d’accord avec « marathon man », si les types comme toi étaient majoritaires, ça foutrait un sacré bordel ! La nature est cruelle mec …Et puis on n’arrête pas un train en marche bordel ! »
Le minoritaire hésite, la gêne emballe son cœur, il tente à nouveau une réponse :
« Je ne disais pas qu’il fallait stopper le train en marche, et puis la nature est cruelle, mais elle est aussi généreuse, encore faut-il comprendre que le problème du collectif ne tient pas du fait que l’individu soit bon ou mauvais, mais du fait qu’il se laisse facilement mener par les couilles ou le bout du pif et surtout du fait que »…
Là le cynique l’interrompt sans même s’en apercevoir :
« Putain les mecs, barre à 2 heures !!! Mâtez-moi un peu ce p’tit cul qu’elle a celle-là !!! Ça sent la sauvageonne !!! »
La fille passe, les mecs tentent, le coup tombe à l’eau ; emportant avec lui le souffle et les à propos, ces fruits si fragiles et délicats, qu’ils périssent souvent jeunes et acides. Leurs graines ? Encore stériles !
Moralité : Un fait banal, six baskets, une discussion comme on en voit beaucoup (enfin le moins souvent possible en évitant les dîners de famille du dimanche !), six roubignoles et un cul qui passe… Une histoire banale quoi, à ceci près que nos coureurs négociant une sortie de courbe se figent subitement la bouche ouverte, un bâtiment brûle au cœur de la ville.
Le naïf dit « Putain j’y crois pas !!! J’sais pas qui a fait ça mais j’suis content de n’être ni juif, ni communiste ! Putain, j’y crois pas !!!!!!!!!
Le cynique rétorque « en tout cas t’as intérêt à t’y faire mec, tu vois dans cette fumée… ils y’en a qui voient l’emblème du dollar ! Figurez-vous que mon père est le cousin par alliance du meilleur ami de la femme d’Hermann Josef Abs, qu’il connaît aussi Hjalmar H.G. Schacht et qu’il vient de choper des actions sur un futur bébé, l’IG Farben ! Quant à moi, j’ai mes entrées chez Krupp ! Putain, j’y crois pas !
Le minoritaire ressent la fraîcheur de cette nuit d’hiver le pénétrer comme une lame, il laisse le feu au loin marquer ses rétines de sa brûlante signature, il n’hésite pas, mais garde le silence.
Le bâtiment en flamme est le Reichstag, nous sommes le 27 février 1933 à Berlin, Allemagne.
Epilogue :
Moralité de cette histoire à rallonges bricolée d’une fin alternative : les choses qui fâchent et qu’on évite ordinairement, ainsi que les histoires sérieuses, que vous racontez banalement tout au long de la semaine, peuvent la semaine suivante devenir votre pire cauchemar ! Voilà une leçon d’histoire et de mathématiques que nous subissons tous les 50 ans, une leçon magistrale qui finit souvent dans le sang, mais qu’il paraît si simple de nous faire oublier.
Chers lecteurs, désolé pour cette histoire à travers laquelle beaucoup auront l’amertume de se reconnaître, mais admettons enfin que nous pouvons nous redresser du stade du singe imberbe et savant, qui se laisse dresser dans une cage virtuelle et expérimentale !
PS : cette petite histoire m’est venue hier, car en cherchant l’orthographe du nom d’un des banquiers d’Hitler sur le web, je suis tombé sur un article de l’humanité datant de 1994, à propos de la mort de Hermann Josef Abs (un autre banquier du IIIème Reich). Personne n’avait encore réagi à cet article, je m’en suis chargé… à mes risques et périls… et cette petite histoire m’est venue. Pour voir l’article en question et ma réaction :
http://www.humanite.fr/1994-02-08_Articles_-Le-banquier-d-Hitler-est-mort
Si ma réaction n’apparaît pas sous l’article, veuillez me le signaler par commentaire interposé ! Merci à tous !