Mais qui a tué Charlie ?
Après la fièvre collective... il fallait qu'on y réfléchisse un peu quand même...
Alors?
Au fond, qui a tué Charlie ?
...
Face aux récupérations politiques, face aux clichés tant attendus, aux métaphores faciles et au dangereux matraquage médiatique, que tous ceux qui auraient la sagesse de prendre du recul face aux événements actuels se lèvent ou prennent le désormais fameux crayon, non pas pour le foutre dans le cul des terroristes, comme le montre partout les incarnations de notre bel humour, mais pour protéger l’avenir de nos enfants et ce qu’il reste de décence à cette humanité !
Encore un coup de gueule, donc, par devoir !
« No amalgame », dit-on sagement ! Et pour cause ! Rien à redire là-dessus, français, ne craignez rien si votre voisin s’appelle Momo !
Mais au-delà… Ne nage-t-on pas en plein amalgame ?
Un exemple ?... Oh oui, un énnnorme, bien attirant, bien gras, bien cancérigène :
Si l’on en croit les médias, la France entière se lève au nom de la liberté d’expression !
Où est l’amalgame ?
Avec humour (puisque tout le monde aime):
La liberté d’expression est menacée ! Quoi, comment, allons tous manifester !!!! Mais qui ici a menacé la liberté d’expression ?!?!?! Comment ? Qui ? Pensez plus fort je n’entends rien ! Qui ? Ahhh, les fanatiques !!! Mince alors, mais vite, il faut leur dire, manifestons ! Ils z’ont sûrement pas pigé ce qu’ils ont fait !!!! Vous croyez qu’ils vont voir la manif depuis Bab El Oued ?
Et plus clairement :
Utiliser l’humour ou la moquerie pour répondre à la colère, à la folie meurtrière et à la dégénérescence d’un esprit fanatisé, NE FAISONS PLUS D’AMALGAME, ce n’est pas une utilisation forcement légitime de la liberté d’expression !!!
Voilà qui, dans de nombreux cas, correspond plus à de l’orgueil ou à de l’inconscience ! Une inconscience qui nous expose tous au danger.
Un exemple : Nicolas Bedos (chroniqueur, humoriste, acteur), du haut de sa trentaine et de sa grande sagesse, a déclaré en réaction aux évènements « Laissez-nous l’ouvrir et risquer notre peau » (Avec ça, il a sûrement eu sa photo en première page sur People et 20 minutes).
« Mais dis donc gamin, tu sais que tu n’es pas tout seul ? »
Attention, je ne critique pas le personnage, dont les pensées et l'humour ne laissent pas indifférent! Ce que je désapprouve ce sont ces élans irréfléchis que nous avons tous lorsque l'histoire nous rattrape dans toute sa complexité, élans qui font le jeu des médias et entretiennent la vérité des vainqueurs.
Ici, certains diront : « oui, mais si on commence à fixer des limites à la liberté d’expression… »
Allez dire ça à Dieudonné !
Ah, merde sujet tabou ! Je vais éviter moi aussi de me permettre de l’humour facile et provocateur ! Bref voilà qui mérite une petite parenthèse :
Tout d’abord, je me surprends souvent à penser que si les milieux du showbiz, des médias et de la politique avaient été moins hypocrites ou moins lâches, (du moins avant que l’humoriste ne se dirige vers l’aisselle réconfortante de quelques personnalités douteuses), on lui aurait sûrement évité sa dérive réactionnaire !
MAIS ceci dit, comprenons-le, à partir du moment où Mr M’bala M’bala a commencé à nourrir sa propre guerre en brandissant cette simple réalité qui dit que l’on doit ( ?) pouvoir rire de tout ; lui aussi a fait cet amalgame que beaucoup font aujourd’hui ! Et il a surenchéri, à ses risques et périls.
Entendons-le bien, la haine chronique, quelle qu'en soit l'origine factuelle, est issue d'une perte de contrôle de l’esprit. Hors, il suffit de voir au quotidien les incarnations de nos fantasmes modernes pour comprendre que la pensée est et devient matière, une matière qui pèse vite un certain poids… et c’est un euphémisme ! L’esprit souffre donc de blessures, de contaminations ou de maladies aussi réelles et dangereuses que celles affectant le corps, et bien que nombre d'entre nous ne résonnent point de cette façon, ce n'est pas à grand coup de braquemart ou d'humour qu'on éradique une maladie ou qu'on se protège d'une infection!
Faire véritablement reculer une maladie, lorsqu’elle devient un fléau, implique de comprendre comment guérir les malades et comment leur permettre de s’immuniser durablement.
Et enfin, faut-il le dire ? Aider un homme ou un groupe humain à se libérer des blessures de son histoire, de ses faiblesses et de ses tabous (qu’il s’agisse d’un fanatique de la vengeance barbare ou d’un machiavel initiés au « soft power »), ne consiste pas à lui opposer la loi du talion ! Pour éviter le cycle morbide de la paix par la guerre, une réponse (si humoristique soit-elle) à la perte de contrôle de l’esprit ne peut se faire sans avoir cerné les traumas qui en sont la cause et compris les limites de l’agresseur (et d’autant plus si l’on décide de franchir ces limites) !
Voilà pour la liberté d’expression, mais revenons-en au « No amalgame(S)»…
Tout à notre honneur de faire la distinction entre un musulman ordinaire et un intégriste, mais peut-on mieux faire ? Comprendre la position dans laquelle on place une majorité de musulmans par exemple… Et prendre conscience du paradoxe qui se joue ici :
D’un côté on veut bien compatir avec nos voisins les barbus modérés…
Et de l’autre :
- On oublie volontairement que la plupart des politiques occidentales (y compris celles de la France) ont toujours instrumentalisé les intégristes ou les dictateurs de tous poils pour entretenir nos intérêts à l’étranger.
- On ignore que notre esprit impérialiste et colonisateur a lui-même semé la graine du terrorisme chez tous ceux dont on a profité et dont on profite encore (bien que le mouvement de la balance des gains se soit déjà inversé).
- On néglige les traumas vécus dans les pays qu’on a ainsi divisés, pour ne pas dire déchirés (prenons un exemple que vous n’attendez pas : celui des chinois ! Avez-vous oublié ou ne vous a-t-on jamais posé cette question à l’école : Si nous n’avions pas fait la guerre de l’opium à la Chine (pour pouvoir continuer à y écouler nos stocks de drogue dure venant d’Inde !), si nous ne l’avions pas endetté après la victoire, si nous ne l’avions pas plié et conformé ainsi à notre bureaucratie et à notre mode de vie (…), lui aurions-nous évité l’effritement des traditions confucianistes ? Les guerres du nationalisme et communisme ? La zizanie l’ayant affaibli face au Japon, dont les occidentaux exigeaient aussi une obligation de résultat ? Et donc les millions de morts et le trauma qui fait de la chine actuelle ce cheval de Troie qui marche ou crève !? Ce péril jaune qui nous fait si peur, lui aussi nous l’avons aidé à grandir !
- Et pour finir, ces modérés que l’on prend subitement en affection, qui sont-ils ? L’épicier du coin, la voisine et son entreprise de baby-sitting, le vieux Maboub et ses sept fils, le nouveau chauffeur de bus qui freine trop fort, … Qui sont-ils ? Que pensent-ils ? Sont-ils heureux ? Au final, eux, comme la plus part des gens qui nous entourent, les voit-on vraiment ? Et tous ces autres arabes modérés qui sont resté chez eux ? Voilà des lustres que nous les laissons en porte-à-faux entre la dérive des fanatiques et notre hypocrisie politique , alors qu’ils sont les mieux placés pour nous aider à éteindre les feux dont nous sommes responsables ! (le jour où quelqu'un viendra maltraiter votre famille, qui mieux qu’un parent plus modéré que vous pourra vous apaiser ? Une personne extérieure peut-être ? Mais certainement pas l’agresseur n’est-il pas ? Vous n’êtes pas si sage… Et imaginez de fait que le cèlera affiche toujours bonne mine et bien-pensance !
Arrêtons-nous à ce dernier exemple :
Comment met-on les musulmans en porte-à-faux ?
- En leur imposant de régler entre eux leurs déchirures, tout en acceptant notre intervention conjointe, en respectant nos délais et en utilisant nos méthodes.
- En achetant le droit de laisser notre mode de vie se pavaner sous leur soleil.
- En leur demandant de se plier à notre loi du marché, tout en faisant cohabiter au gré de nos implantations, les traditions et le consumérisme, la pudeur et le voyeurisme, l’austérité et les outrages, une religieuse intégrité et un matérialisme hypocrite, la simplicité et la sophistication, le respect des dogmes et les bars à putes, le mulet et la Ferrari (…).
- En leur demandant d’être forts face à leurs semblables intégristes, alors que leur seule soumission à nos ordres déguisés et d’une manière générale à la corruption de notre démocratie, suffit aux fanatiques pour les voir comme des faibles, des traitres, des pervertis sans la moindre noisette dans le slip !
- En continuant à croire que notre système est légitime et que nous sommes la démocratie © ! En refusant d’admettre que Nos Lumières© nous ont aveuglés ! En fantasmant le fait que nos objets de pouvoir ne nous aient pas pervertis et qu’ils nous aideront à éradiquer le mal et les méchants !
- Et ces dernières semaines, comme l’indique l’actualité internationale, en jetant de l’huile un feu que la république s’enorgueillit pourtant d’avoir maîtrisé, celui des guerres de religion.
Françaises, français, les amalgames sont déjà faits !!!! Faites-en une boule et ruminez-la ; lentement, ruminez-la... Respirez ! Ruminez-la encore… Sans l’avaler j’entends, contre toute caricature, vous n’êtes pas des vaches !
Certains diront… « Encore un culturaliste ! C’est un truc à nous renforcer le communautarisme au détriment de nos sacrosaintes lois universelles ! »
Et bien non, je ne suis pas culturaliste ! (encore faudrait- il redéfinir le terme !) En revanche, comprenons ceci :
Qui nage en pleine utopie ?
Le républicain qui entend établir la laïcité par la force ou la persuasion, en attendant, au mieux une stabilité fondée sur l’hypocrisie ?
Ou celui qui entend rendre à cette laïcité l’universalité qu’elle mérite, en réconciliant les différentes susceptibilités présentes à l’intérieur et au-delà des murs de la cité ?
A tous ceux qui sont devenu Charlie :
Ne lui manquez pas de respect ! Un peu de compassion et de bon exemple pour ces âmes sacrifiés au nom de quelques ricanements à la cafète, au nom d’une bonne conscience collective… Et d’un bon chèque de fin de mois à la discrétion de la direction du journal.
J’espère au moins que le renouveau financier que vous offrez à Charlie Hebdo lui suffira pour se racheter une conscience plus éclairée, ou (au pire) pour investir dans un bunker et dans une assurance pour les orphelins des victimes d’attentat.
A propos de conscience plus éclairée, la première caricature à laquelle devrait penser Charlie ces temps-ci et durablement… c’est une caricature de lui-même !