Méditation réconciliatrice à propos de la guerre affectant l'innéisme, le rationalisme et l'empirisme:
Peut-on émettre un jugement de valeur sur une société qui n’est pas ou plus la nôtre ?
Après avoir colonisé les bons sauvages au nom de la supériorité de la race et de la nécessité d’inculquer ses valeurs, la crème de la pensée occidentaliste affirme aujourd’hui que non, nous ne pouvons pas émettre de jugement de valeur sur une société qui n’est pas ou plus la nôtre. Ce point de vue comporte plusieurs avantages : il cadre parfaitement avec la sérendipité des vainqueurs, il réaffirme la raison déterminée et la bonne conscience d’une société se rêvant démocratique et il justifie les actions du passé avec une fausse excuse anthropologique. Rien d’étonnant, donc, dans le fait que le point de vue soit majoritaire, allègrement médiatisé et apprécié dans les milieux autorisés !
Mais est-il représentatif de la société occidentale ?
Et le terme de société nous représente-t-il ? De quelle façon ?
Une interrogation qui apporte un nouvel élément à l’équation précédente !
Peut-on avoir un jugement de valeur sur une société qui n’est pas ou plus la nôtre est donc une question mal posée ! Une question pour tester la subtilité des bacheliers ? Probablement, mais aussi une question très médiatique ayant entraîné une avalanche de OUI et de NON au pouvoir paradigmatique… Un piège sémantique pervers dépassant les capacités du commun des mortels, ce pauvre petit homme besogneux que l’on noie dans le confusionnisme!
La tendance médiatique étant au NON, laissons de côté le OUI :
Affirmer qu’on ne peut émettre de jugement de valeur sur une société qui n’est pas ou plus la nôtre revient donc à banaliser un amalgame commun à propos de la société majoritaire et de la société plurielle ! En d’autres termes, soit le postulat admet les minorités mais ne les prend pas en compte, soit il prétend que les valeurs sous-entendues sont absentes de la totalité des populations ou des époques étudiées, celles-ci échappant donc à tout jugement grâce à la fameuse excuse anthropologique. Pourtant chaque population et chaque époque ont vu des minorités, voire des majorités muselées, affronter l’air du temps et se dresser contre les valeurs admises par la vérité des vainqueurs. L’existence de ces voix fait s’écrouler la grande muraille autosuffisante des excuses de l’histoire !
Prenons quelques exemples :
- De nombreux contemporains affirment qu’on ne peut juger l’opportunisme d’un Voltaire ou les décisions prises au siècle des Lumières puisque ces phénomènes étaient conditionnés par les mœurs de l’époque et de la région. L’Europe tout entière étaitelle fascinée par le bistouri et l’exposition du zoo humain ? Tous les intellectuels prenaient-ils le progrès, le matérialisme et les affaires pour un gage de paix ? Imaginaient-ils à l’unisson que le libre-échange apaiserait le choc des civilisations sans créer un effet pervers ? Les avertissements de Flaubert, les travaux de Fourier ou encore l’opposition de Rousseau à la pensée voltairienne ne font-ils pas partie de l’équation ? Tous ces contestataires et bien d’autres encore faisaient bel et bien partie du tableau ! Et c’est bel et bien un jugement de valeur qu’ils exprimaient à l’encontre des paradigmes communément admis !
- Les mêmes contemporains disent aussi qu’il ne faut plus juger le meurtre, la lapidation ou l’infanticide pratiqués par nos ancêtres et parfois légitimés dans les écritures, sans les remettre dans leur contexte historique. Protection des alliances, sécurité de la tribu, affirmation des dominants et préservation du collectif face à l’indicible légèreté de l’être (…) sont les facteurs anthropologiques servant ici d’excuse. Mais sans le moindre jugement de valeur, comment définir le travail du philosophe face à la tyrannie de l’empereur, la raison de l’homme de foi face à celle de l’homme de pouvoir (…) ? Comment départager un Diogène d’un Alexandre ? Un Jésus apocalyptique d’un Juda, d’un Pierre, d’un Paul ou d’un Hérode ? Un Ponce Pilate d’un Caligula ? Un Muhammad d’un prince mecquois ordinaire ?
Si seul le progrès et l’éducation participent de l’amélioration de la condition humaine, nous ne serions pas dépassés par notre propre technologie et nous aurions très certainement amélioré notre approche systémique de la vie en collectivité avant de laisser l’empirisme nous guider indolemment vers la guerre économique et le suicide consumériste. Le rôle d’un Maître, d’un philosophe, d’un guide, d’un père ou d’une mère (…), consiste essentiellement à limiter le pouvoir de la bêtise dans la cité et à chaperonner la rencontre de l’orgueil, de l’amour propre et de la grande putain des arts, des sciences et des industries. Sans jugement de valeur, le guide n’épanouit pas la conscience, il apporte la ruse, la métis, ou il favorise la pensée empirique. Or, chez l’Homme, l’intelligence et le bon esprit sont répartis aussi inégalement que les richesses, c’est un fait ! Autrement dit, sans jugement de valeur, l’éducation et le progrès ne font que distribuer des kalachnikov et des modes d’emploi à des primates rêvant à leur mois de vacances après avoir sacrifié une année à fabriquer l’arme du crime.
Sans jugement de valeur, la méritocratie n’a guère plus de sens que l’égalitarisme ! S’agirait-il de la malédiction des fantômes de la révolution ?
Sans jugement de valeur, toute société, tout individu, reste uniformément excusable. Toute période aussi, y compris la nôtre. Voilà qui nous arrange.
Sans jugement de valeur, les frasques de Ethan, le môme de Jean-Pierre, sont excusables, vu les manquements de son père. Un jour il se plantera et comprendra ! Le jour où il se came, il reste excusable, vu les circonstances et l’emprise de cette saloperie chimique. Le jour où il commence à piquer du fric à sa mère pour… Jusqu’où doit-on pousser l’empirisme ? Soumettre un jugement de valeur à Ethan ne veut pas dire le condamner ! Bien au contraire, un bon guide ira chercher l’enfant là où il se trouve, il s’immergera dans sa détresse la plus profonde jusqu’à lui offrir la possibilité du choix. Pas de sanction, pas de menace, pas de sectorisation par défaut. L’affirmation des valeurs complète les expériences empiriques de l’Homme et le rappelle à l’ordre au nom de ce qui est Amour, conscience, unité…
Nous revenons de vacances, beaucoup d’entre nous, victimes de la grande dépression contemporaine aurons séjourné dans un camping, il en existe de toutes sortes… Toute société est un organisme et tout organisme est une société… Chacun(e) est une île… Si vous êtes de ceux que cela intéresse, votre séjour dans un mini vivier humain a dû vous en dire long sur la question soulevée ici :
Peut-on émettre un jugement de valeur sur une société qui n’est pas ou plus la nôtre ?
Jugement de valeur, dialectique, rationalisation, point de vue anthropologique et recherche d’une cohérence, d’une unité, ne sont en rien incompatibles, ils sont complémentaires ! C’est ainsi que l’on répare les pots cassés !
Un jugement de valeur n’est pas une croyance, tout comme la vertu n’appartient pas à ceux qui la revendique ! Le jugement de valeur fait peur parce qu’il touche au complexe du déterminé et de l’indéterminable, il concerne l’horloge biologique, il évoque la notion de libre arbitre, on lui prête un caractère religieux ; qu’est-ce que la religion ? On le soupçonne d’être inquisiteur, il nous fait pénétrer dans la substance abstraite de l’Amour… ça fout la haine à certains ! Souvent la honte.
A d’autres, le vertige…
Pour le commun des mortels, un bon jugement de valeur est aussi motivant qu’un test de QI.
La morale, le jugement de valeur et la vérité ont mauvaise presse ! L’anthropocène est le terrain des hommes d’action.
Ne nous étonnons pas que les élèves pissent sur les professeurs ! Platon nous avait prévenus…
Un jugement de valeur s’adresse à l’Homme qui peut l’entendre, mais seul l’acte est sur le banc des accusés et l’auteur est invité à en défendre la pertinence. Le but ultime de la justice n’est-il pas de rendre à l’Homme la pleine maîtrise de ses actes ?